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Prêts pour le grand départ

Les skippers, tous testés négatifs au covid19, vont ivre une dernière nuit au calme dans la tiédeur d'un lit douillet, dernier dîner élaboré, dernière check list, dernière douche longue et chaude, dernier café en famille demain matin.

Demain dimanche, à 8h15, Armel Tripon sera le premier à larguer les amarres du ponton de Port Olona. Toutes les 4 minutes, jusqu'au Finlandais Ari Hussela, les 33 marins vont se détacher de la terre. Ce départ aura un goût particulier.

Il se fera à pas feutrés et en petit comité : uniquement le cercle rapproché sur le ponton et sans aucun public le long du chenal.

Mais à 13h02, lorsque retentira le signal de départ les marins entreront pour de bon dans ce pourquoi ils ont si longtemps travaillé : un voyage en solitude qui durera entre 65 et 120 jours.

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Partir d'abord, finir ensuite, gagner peut-être

Les 33 hommes et femmes de cet opus - qui restera dans les mémoires comme l'édition « Evadés du confinement » - covid-19 oblige - savent que le Vendée Globe est une course par élimination.

Revenir aux Sables d'Olonne après 24 296 milles de navigation autour de l'Antarctique en passant par les trois caps est une immense gageure : depuis l'édition pionnière de 1989, seuls 53% des 167 partants ont accompli cet exploit.

Le premier défi est d'être présent au départ. Le second est de finir. Ce qui n'est pas incompatible avec de fortes ambitions sportives.

Jérémie Beyou (Charal), Alex Thomson (HUGO BOSS), Charlie Dalin (Apivia) et Thomas Ruyant (LinkedOut) partent avec une étiquette assumée de favoris. Nicolas Troussel (CORUM L'Epargne), Sébastien Simon (ARKEA PAPREC) et Armel Tripon (L'Occitane en Provence) ont entre les mains un bateau dessiné pour scorer.

Sam Davies (Initiatives-Cœur), Kevin Escoffier (PRB), Yannick Bestaven (Maître-CoQ IV), Isabelle Joschke (MACSF) ou encore Boris Herrmann (Seaexplorer – Yacht Club de Monaco) ont les armes pour jouer les trouble-fêtes et partout, il y aura une multitude de courses dans la course, une multitude de façons d'exister.

La valeur des hommes, la fiabilité des bateaux et la chance seront les trois piliers de la performance. Et il faut s'attendre à ce que rien ne se passe totalement comme prévu.

En cette veille de départ, et face à cet Everest d'incertitudes – notamment pour les 18 concurrents qui s'engagent pour la première fois dans la course -, il y a donc de quoi être stressé.

Depuis quelques jours déjà, les nuits sont moins paisibles, les rêves plus agités et les cerveaux préoccupés par les conditions de navigation à venir. D'autant que la météo des premiers jours s'annonce complexe.

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Bonnes conditions pour le départ, un premier front dès la première nuit

Le départ devrait être aussi rapide que spectaculaire, avec une quinzaine de nœuds de vent de sud-est qui propulsera rapidement les 33 IMOCA vers une bouée de dégagement située à 7 milles de la ligne.

Sous le soleil, cap à l'ouest, ce bord de largue devrait être avalé en une petite trentaine de minutes.

La stratégie des premières heures consistera à aller chercher un front au large des côtes françaises, dans un vent refusant et forcissant jusqu'à 25/30 nœuds avant la bascule du flux au nord-ouest, dans la deuxième partie de nuit de dimanche à lundi.

Des changements d'allure, de régime et de voiles seront donc au menu de la première nuit de ce 9e Vendée Globe ! Les marins n'auront pas beaucoup de temps de se reposer. La suite s'annonce très complexe.

Une dorsale succèdera à ce premier front avant l'arrivée d'un second front (à la latitude du cap Finisterre) plus costaud que le premier : de la mer croisée (4 mètres de creux) et du vent fort, jusqu'à 40 nœuds au passage du front.

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Procédure de départ : tout ce qu'il faut savoir

Longue de 1,3 mille (soit 2,3 km), la ligne de départ, matérialisée par le patrouilleur des douanes Iris (46 m de long) et une bouée cylindrique de 3,50 m de haut, sera franchie à 13h02 par les 33 concurrents.

La procédure de départ démarre 8 mn avant le coup de canon avec le signal d'avertissement. A H-4 mn, au signal préparatoire, le skipper doit être seul à bord, suit la minute et le top départ.

Si un IMOCA coupe la ligne trop tôt, c'est-à-dire avant 13h02, il encourt une pénalité de 5 heures qu'il devra effectuer en course dans sa descente de l'Atlantique nord.

Un concurrent qui ne franchit pas la ligne 60 mn après le signal sera considéré comme « non partant ». Il devra attendre l'heure indiquée par le comité de course pour repartir.

Seule 'dérogation' à la notion de « sans escale », l'autorisation qui est donnée aux concurrents de revenir aux Sables d'Olonne en cas d'avarie ou de problème physique.

Un skipper peut donc revenir au port de départ et pourra repartir dans un délai fixé à 10 jours, soit le 18 novembre 2020 à 13h02. A cette date et à cette heure, la ligne sera définitivement fermée.

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Les réactions

Benjamin Dutreux, OMIA – Water Family

" J'ai pas mal de questionnements en moi. Je n'ai pas très bien dormi cette nuit. Il y a un mélange de stress, la montée de l'adrénaline et puis j'ai hâte de partir ! J'ai un peu l'impression d'être un grand enfant, comme si j'allais découvrir le monde.

J'ai essayé de visualiser le départ demain, mais je n'y arrive pas. Je sais de toute façon que ça ne se passera pas comme on l'imagine. Je sais que mon équipe a tout donné et désormais, ça y est, c'est à moi de jouer !

Certes, c'est un accomplissement d'être là, mais l'objectif, c'est d'aller au bout. On ne fait pas ça pour être au départ, mais à l'arrivée ! J'ai hâte de vivre, raconter et partager de belles histoires, surtout en cette période compliquée. 

 

Sébastien Simon, ARKEA PAPREC :

"Je suis un peu stressé, je n’ai pas tout à fait le même sommeil que d’habitude. Il est plus agité, et je fais même quelques cauchemars. Mais dans l’ensemble, ça va ! Je vais commencer à avoir mes « tocs » comme avant tous les départs de course. Pour me rassurer, j’ai essayé de rythmer mes journées pour ne pas trop cogiter.

Au sujet de la météo : « Les conditions pour le départ s’annoncent super : vent de sud-est médium, temps beau et doux et mer plutôt lisse.

Dès lundi matin, nous aurons un premier front à passer, peu actif par rapport à celui qui nous attend mardi. Nous passerons ensuite une dorsale anticyclonique en quittant le Golfe de Gascogne.

Puis mardi dans la soirée, nous allons rencontrer une dépression plus sérieuse. Je la surveille de près pour trouver des trajectoires alternatives si le vent venait à se renforcer encore.

Pour le moment, il n’y a pas d’échappatoires, il faut aller dans cette dépression. Le but sera de préserver le bateau sans perdre trop de terrain. Il faudra le traverser à l’endroit où les conditions restent maniables et l’avantage, c’est que même dans ce front, il n’y a pas beaucoup de mer."

 

Damien Seguin, Groupe Apicil

"La pression commence à monter doucement mais le stress pas plus que ça… J’ai l’impression d’être assez zen. C’est vrai qu’il y a un peu de regrets sur ce départ à huis clos car j’ai vu les deux dernières éditions partir.

Que ce soit la descente du chenal ou sur l’eau sur la zone de départ, ce sont des moments assez uniques. Ça va être différent cette année mais je ne suis pas sûr qu’il y ait moins d’émotion car il y aura quand même un petit peu de public avec les personnes qui me sont proches, mon équipe et mes partenaires.

Ce sera plus intime mais les grandes émotions seront là aussi. Et puis, quoi qu’on en dise, ça reste un départ de tour du monde. Ce n’est pas rien !"

 

Boris Herrmann, SeaExplorer-Yacht Club de Monaco

"La situation météorologique est complexe et nous allons devoir faire attention. Ce n'est pas du tout la situation classique que l'on imagine depuis des années, car nous allons tirer d’emblée un bord vers l’ouest.

Non, cette fois, ce sera beaucoup plus de près. Je pense qu’on peut perdre beaucoup et que les gains ne seront pas faciles à engranger. La seule certitude est que l’on pourrait abîmer les bateaux dès le second front qui s’annonce assez fort.

Si le peloton de tête reste serré, je pense que la course va vraiment commencer dans les alizés."