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Le classement complet du Vendée Globe ICI

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Destins croisés

Aujourd'hui, entre le sort de Jérémie Beyou et celui d'Alex Thomson, il y a un monde. Le premier voit ses rêves de victoire lui échapper.

Le second est dans le groupe de tête. Concurrents sur l'eau, les solitaires du Vendée Globe sont aussi des frères d'armes, solidaires dans le mal.

Dans le Nord-Est des Açores, alors que la flotte file au portant à la rencontre d'une grosse dépression tropicale, le demi-tour d'un des grands favoris de la course fait une ombre au tableau.

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Jérémie Beyou sonné

 « Je me réveille de quatre ans de préparation pour essayer de gagner le Vendée et ça, c'est fini (…). Forcément, ça m'éclate un peu à la figure. Là, je ramène le bateau et je verrai après. Je ne sais pas si je pourrai repartir."

C'est un Jérémie Beyou sonné par la déception qui s'est exprimé ce matin en visio. Au portant, bâbord amures – pour préserver le gréement dépourvu de bastaque tribord –, le bateau noir parcourt à l'inverse le chemin emprunté à l'aller.

Un crève-cœur pour ce grand favori et ce grand compétiteur porté par le désir de gagner la course. Charal devrait arriver dans le port des Sables d'Olonne samedi matin. L'évaluation des dégâts (voir les explications du skipper plus bas) débutera dès lors.

Jérémie ne sait pas encore s'il pourra reprendre la mer. Il a jusqu'au mercredi 18 novembre 14h20 pour franchir à nouveau la ligne de départ. « Aucun de nous ne souhaite à personne ce qui arrive à Jérémie », déclarait un des leaders Alex Thomson.

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Thomson et Le Cam en grande forme

Pendant que Jérémie Beyou poursuit son chemin de croix vers le port de départ, la flotte continue de progresser sous l'influence d'une dépression peu active située dans le Nord-Est des Açores.

Situation inédite sur un Vendée Globe, l'archipel portugais est sur la trajectoire des marins qui apercevront certainement cette nuit les lumières de Sao Miguel ou de Santa Maria. Certains passeront-ils entre ces deux îles ?

A priori, il s'agira plutôt d'empanner dans ce vent portant pour parer les dévents, mais qui sait si LinkedOut et Apivia ne joueront pas au chat et à la souris entre les îlots rocheux de Formigas ?

Au Nord de la carte, ces deux-là forment un duo inséparable depuis qu'ils se sont croisés la nuit dernière, suivis à distance par PRB.

Une quarantaine de milles sous leur vent, l'étrave noire de HUGO BOSS a pris cet après-midi les commandes de la course. « Busy, crazy night for all of us : une nuit folle et intense pour nous tous. On a passé notre temps à empanner et à changer de voiles », a confié Alex Thomson à la vacation ce jeudi matin.

« On est tous fatigués, il faut que j'aille dormir parce qu'il est très facile de faire des bêtises ». Le Britannique n'en a pas fait beaucoup pour l'instant. Sur sa trajectoire, se sont alignés CORUM-L'EPARGNE, Initiatives-Cœur et ARKEA-PAPREC.

Mais les groupes Dalin et Thomson, décalés à l'ouest de la dépression, ne bénéficient pas ce soir du vent portant le plus fort. La situation continue de profiter aux hommes de l'Est, à commencer par un Jean Le Cam très en forme, nouveau patron des IMOCA à dérives et 1er au classement de 18h00 !

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Journée bricole

La situation météo et l'obligation d'aborder les dépressions du bon côté (par le Nord puis l'Ouest pour pouvoir glisser au portant) est en train de contraindre la flotte à s'aligner.

Les écarts en longitude sont en train de se transformer en écarts en latitude, et plus de 300 milles séparent désormais les premiers des derniers. En queue de peloton, en dehors de Fabrice Amedeo qui flirte avec les côtes du nord de l'Espagne, Sébastien Destremau a vécu des heures houleuses.

Cette nuit, il s'est écroulé de sommeil et a passé plusieurs heures endormi à l'intérieur du bateau, en sens inverse de la route. Sa journée, il l'a ensuite passée à bricoler sur le pont et à grimper au mât pour démêler des drisses entortillées.

La liste des petits soucis techniques s'allonge à mesure que les marins vérifient l'état de leur monture. Maxime Sorel est lui aussi monté au mât pour récupérer une drisse.

Même sanction pour Louis Burton qui, en plus de son ascension, a dû éponger des litres d'huile (provenant de son vérin de quille) déversée à l'intérieur de son bateau avant d'empoigner la meuleuse pour réparer une petite fissure sur une cloison.

Veiller à l'état du matériel est un impératif. Car demain matin, il faudra aborder la grosse dépression tropicale qui leur barre la route.

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Thêta, 29e dépression tropicale de l'année

Elle est au centre des préoccupations des marins. C'est une grosse boule rouge posée en plein milieu de la cartographie. Un boulet de canon. Les solitaires vont devoir épouser sa courbure, par l'Ouest, en effleurant de loin ses formes généreuses.

Ceux qui s'y frottent de trop près pourraient être sévèrement sanctionnés.

Car cette dépression subtropicale recèle en son sein des vents de 50 à 60 nœuds et fait lever des collines liquides de 6 mètres. C'est Thêta.

Et c'est la 29e dépression tropicale de l'année, soit un record puisqu'on n'a jamais observé autant de phénomènes de ce type les années précédentes. Pour la petite histoire, les dépressions tropicales et subtropicales portent comme nom les lettres de l'alphabet.

D'abord 21 lettres issues de l'alphabet latin, puis, lorsque toutes sont épuisées, on passe à l'alphabet grec. Thêta est la 8e.

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Jérémie Beyou (Charal)

"Il y a pire quand on pense aux événements qui nous entourent. Maintenant, quand tu es sportif de haut niveau, tu ne vis qu’au travers de ton objectif. Depuis 4 ans, je vis dans l’objectif d’essayer de gagner le Vendée Globe.

Je suis à 100% là-dedans, je ne vois rien de ce qui existe autour. Quand ça s’arrête comme ça, brutalement, c’est super violent.

C’est pour ça que j‘ai mis tant de temps à faire demi-tour, j’aurais probablement dû faire demi-tour tout de suite, parce qu'aller passer le front avec le bateau dans cet état, forcément, ça a fait d’autres dommages collatéraux, mais je ne pouvais pas y croire. Le réveil est un peu dur.

Un peu plus tôt dans la journée, quand le vent n’était pas encore trop fort, j’ai arraché ma cadène de renvoi de point d’écoute de voiles d’avant ; ça a explosé la cloison de barre d’écoute…

Ça a déchiré le pont à tribord et puis pendant que j’étais à l’intérieur du bateau en train d’inspecter tout ça, j’ai tapé un truc avec le safran. Il s’est à demi relevé ; j’ai un trou dans l’attaque de safran et j’ai le bord de fuite de safran qui est cassé.

Le vent fort arrivait, donc soit je faisais demi-tour tout de suite, soit je continuais. On a décidé avec l’équipe que le safran allait tenir, et je me suis débrouillé pour brêler une écoute. Le front est passé, c’est passé hyper vite.

On est passé de 45 nœuds d’un bord à 45 nœuds de l’autre. J’ai empanné, j’ai pris la bastaque et avec tous les éclats de carbone, ça a fait exploser le courant de bastaque… et je me suis retrouvé sans bastaque.

Je venais de casser mon aérien juste quelques heures avant. La bastaque, c’était le dernier truc. J’ai dû abattre et puis faire route retour.

Là il y a toujours de la mer, je suis au portant dans une quinzaine de nœuds avec la mer de derrière, donc ça va. De l’autre côté, bâbord amures, le safran commence à être bien abîmé, je ne peux pas aller très vite.

Je pense arriver le 14 au matin. Pour la suite, je ne sais pas… Le safran, ça peut peut-être changé, la barre d’écoute et la cloison, j’avoue que je ne sais pas trop. Honnêtement, je me réveille de 4 ans de préparation pour essayer de gagner le Vendée et ça c’est fini.

Mon papa est parti à l’hôpital, il a fait un AVC une semaine avant le départ, j’ai complètement occulté tout ça. Forcément là, ça m’éclate un peu à la figure. Là, je ramène le bateau et je verrai après. Je ne sais pas, je n’en sais rien pour repartir."