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« J’apprends tous les jours, c’est vraiment un changement de vie où tout est une découverte, tout est à reconstruire. »

Bonjour Marie Dorin Habert,  Merci d’avoir accepté cette interview pour www.ski-nordique.net

"Avec plaisir !"

 

Vous êtes encore jeune retraitée du Biathlon que vous avez quitté à Oslo-Holmenkollen en Mars 2018, lors de la Poursuite. Une sensation bien particulière avec votre dernier tir couché, puis le dernier tir debout, les derniers tours de pénalités et la ligne d’arrivée... Comment avez-vous vécu ce départ ?

"Ce n'est que maintenant que j’ai vraiment tourné la page, je l’ai très bien vécu. C’était déjà prévu depuis un petit moment. Cette course là ne m’a pas fait d’émotion particulière en plus parce que finalement, ma dernière course, c’était plutôt le relais des Jeux, dans ma tête.
Après, le reste, c’était que du bonus et j’ai plutôt savouré ces moments-là. Maintenant j’en garde un souvenir très doux."

 

 On a pu suivre votre départ en direct à la télévision, la course étant retransmise chez nos confrères de L’Equipe, et à la ligne d’arrivée vos copines du Biathlon vous ont accueillie comme il se doit en vous préparant une belle surprise.

Ce sentiment d’appartenir à un groupe, à un collectif, à un « staff », est quelque chose d’essentiel pour un biathlète. Quels sont les enseignements que vous retiendrez de l’aventure humaine que le Biathlon vous a apporté ?

"Alors je retiens plusieurs choses du biathlon. Déjà, pour le sport de compétition, je pense que si cela a été choisi par l’athlète en lui-même, c’est une très belle voie que moi je peux conseiller. C'est bien fait, elle est vraiment faite pour l’athlète.

Parce que cela apprend le goût du travail, le goût de l’effort, le fait d'oser, de ne pas avoir peur de l’échec, de pouvoir rebondir après un échec, de se demander ce qu’est une situation d’échec... 

De savoir appréhender la pression, savoir s'entourer, et cela procure pas mal d’émotions! C’est aussi une belle histoire d’amitié entre un collectif."

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Votre départ du Biathlon a été un grand événement pour cette discipline et pour vous-même. Néanmoins, vous avez conçu en partenariat avec Robin Duvillard et votre mari Lois Habert un complexe sportif « ZeCAMP », dans un cadre idyllique à Corrençon-en-Vercors, en pleine nature. Mais d’où provient ce projet, et quel est son objectif ?

"Ce projet à la base, il vient du cerveau de mon mari, donc Lois. Il a dessiné la piste de ski à roulettes, a contribué au processus de décision de la piste de ski à Corrençon-en-Vercors et un jour il a dit au maire comme cela en blaguant : « Il manque plus qu’un centre d’hébergement sportif ! » 

Le maire lui a répondu sur le même ton : « Bah t’as qu'à le faire. » Il ne connaissait pas bien Lois car il a concocté tout ça, avec Robin. C’était un projet qui leur tenait à cœur. Le fait de pouvoir partager la passion du sport dans un lieu commun, en fait c’est vraiment un projet ouvert à tout le monde.

C’est-à-dire que c’est un hôtel, une structure qui est ouverte à tous. Elle permet de faire la promotion du sport, de passer un bon séjour à nos côtés, puis d’échanger sur les potentialités du lieu en termes de chemins, d’accès, de pratiques sportives ou autre."

 

Cette idée de camp sportif vous a sans doute demandé énormément de temps, partagé entre votre vie professionnelle et la vie de famille avec l’arrivée récente d’une deuxième petite fille.

D'ailleurs après la naissance d'Adèle en 2014 que votre carrière de biathlète bascule : vous continuez l’entrainement et vous arrivez aux mondiaux de 2015 à Kontiolathi en Finlande remontée à bloc, prête à en découdre pour remporter le sprint puis la poursuite sur la même lancée.

Alors tout le monde se pose la question : Marie, quelle est votre recette miracle ?!

"Pour remonter l’histoire, c’est plutôt que j’ai été blessée en 2014, alors que j’avais beaucoup progressé. En fait j’avais passé un cap cette année-là, et j’ai été blessée en début de saison. J’ai glissé dans la boue, je me suis cassée la cheville.

Quelque part à cause de cela ou grâce à cela, sans faire exprès je suis tombée enceinte. C’était une agréable surprise, mais du coup on a vraiment eu une concertation avec mon mari afin de savoir si on était prêt pour cet évènement. 

On a décidé que oui, mais moi j’avais une condition qui était de pouvoir continuer ma carrière sportive, puisque j’avais eu cette année-là l’impression d’avoir eu l’herbe coupée sous le pied.

En 2014 je me suis donc énormément reposée, puisque je n'ai pas fait l’année complète... Julien Lizeroux me disait souvent : « La seule manière pour un sportif de se reposer, c’est de se blesser. » et c’est vrai ! 

C’est-à-dire que quand on est blessé, on n'a pas le choix. Cela permet aussi de se repréparer, de travailler différemment et de solliciter les chaînes musculaires qui n’ont pas forcément l’habitude de travailler, donc de préparer tout cela.

L’année suivante, en plus j’étais enceinte, je n'ai pas fait la même charge d’entraînement que les autres, et de ce fait, je pense que j’ai acquis un capital vie, un capital santé (rires). J'ai été donc remontée comme un coucou en 2015, et puis 2016 et tout ce qui a suivi."

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Marie Dorin Habert, une carrière de sportive de haut niveau se construir aussi grâce à vos adversaires. Pour vous j’en retiendrai trois, si vous me le permettez.

La première, c'est Gabriella Koukalova, avec qui vous vous êtes livrée une bataille acharnée pour le globe du classement général lors de la saison 2015-2016 en finissant 2 ème  derrière la tchèque.  

*(Prendre le temps de lire) *Quand on se confronte à un tel adversaire, comment appréhende-t-on ses courses, cela a-t-il été un poids pour vous ?*

"Alors non pas du tout, il y a une très bonne ambiance en biathlon, c’est quand même un petit milieu et il y a une bonne entente entre nous. Cette année-là c'était chouette car je ne pensais pas jouer le classement général.

J’ai eu du mal à l’assumer, de fait je n'ai pas pu porter ce projet jusqu’au bout. Je ne pensais pas être prête à cette époque, alors que c’était finalement la seule année où j’avais les moyens physiques de pouvoir le faire.

Bon, c’est comme cela, je n'ai aucun regrets, car je n'aurais sans doute pas pu aller plus loin de toute manière. Gabriella méritait vraiment son globe, car elle a été très, très régulière. C'était une adversaire redoutable, avec de nombreuses qualités, car une biathlète accomplie, qui tirait bien et skiait bien. Elle n’était pas l’un ou l’autre elle était les deux, un peu comme Dorothea Wierer qui en plus a son atout vitesse de tir qui n'est pas négligeable.

Voilà, donc non en fait il n’y a aucun truc que j’ai trouvé très dur finalement (rires), cela n’a jamais été un poids, toujours du plaisir. "

 

La deuxième biathlète qui a également marqué votre carrière c’est la fameuse Laura Dalhmeier, brillante lors des derniers Jeux Olympiques. Un palmarès tout aussi incroyable et une adversaire sur la piste bien redoutable...

Pourtant vous avez réussi à lui tenir tête à de nombreuses reprises. Comment peut-on expliquer le succès de cette Allemande qui a sans doute suivi les traces d’une certaine Magdalena Neuner ? 

"Bonne question... Il faudrait sans doute demander aux intéressés. C’est vrai que l’équipe allemande a toujours été très forte, ils ont toujours réussi à sortir de très bons athlètes, je ne pourrai malheureusement pas en dire plus...

Je pense que Laura a un très fort potentiel en plus d'une personnalité bien trempée. Elle est très décidée, ce qui doit l’aider. Elle fait en plus beaucoup d’alpinisme ce qui est un plus."

 

Enfin une autre rivale qui vous a aussi donné du fil à retordre à vous en particulier, et à l’équipe de France en général, c’est la surprenante Dorothea Wierer. La Lucky Luke italienne avait souvent obtenu de belles places mais jamais de globe de cristal ou de médailles significatives aux JO. 

Finalement, tout comme vous Marie, c’est avec l’expérience qu’elle a su se démarquer, à l’âge de la maturité sportive.

Ma question est la suivante, vous retrouvez-vous en elle ? Et pensez-vous qu’elle peut encore tenir la saison prochaine en l’absence de certaines favorites comme Laura Dalhmeier ou encore d’Anastasia Kuzmina ?

"Déjà je ne me retrouve pas du tout en Dorothea Wierer, je pense qu’on n'a vraiment pas la même personnalité. On n'a absolument pas les mêmes qualités, je pense que la comparaison est inexistante entre nous deux.

Doro elle a un tempérament pétillant, vraiment "italienne", toujours avec le sourire, (et il est magnifique en plus). Elle est très vivante, très vibrante, c’est une bonne skieuse, qui a eu des années difficiles mais quand elle est en forme elle envoie vraiment.

Par contre voilà, elle a des qualités de tir qui sont exceptionnelles, que je n'ai jamais eues et que je n'aurai jamais même en persévérant. Les françaises en général ont d'ailleurs du mal à les avoir. Donc non je pense qu’on ne peut pas trop faire de comparaison. (rires)"

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On s’aperçoit finalement que c’est toute une génération de biathlètes qui quitte le circuit : vous-même, Dalhmeier, Kuzmina, Domracheva, Koukalova. Comment regardez-vous maintenant le biathlon depuis votre départ et ce changement de génération ?  

"Je pense que tout est un renouveau et qu’on retrouve tout le temps de bonnes athlètes. Il n’y a pas de perte en fait, c’est un peu un cercle où les gens évoluent, ils deviennent plus forts et puis à un moment ils se lassent, le corps fatigue et du coup il y a une baisse de performance... Voilà comment moi je l’observe, avec beaucoup de bienveillance."

 

Tous ces moments resteront gravés à jamais dans votre mémoire, vous avez laissé place à vos compatriotes les plus jeunes, à l’instar d’une Justine Braisaz, ou bien d’une Julia Simon, qui ont su tenir tête elles aussi aux meilleures, cela promet un bel avenir non, pour l’équipe de France ?

" Et bien c’est tout le mal que je leur souhaite effectivement, j’espère que cela se passera très bien."

 

N’oublions pas Marie Dorin Habert votre amie de toujours, la sénior de l’équipe actuelle, la naturelle, souriante et vaillante « Nanass » comme vous la nommez, qui n’est autre qu’Anaïs Bescond.

J’aimerais vous faire revivre l’arrivée de l’individuelle aux championnats du monde d’Oslo en 2016 : Anaïs termine la course, vous arrivez juste derrière et parvenez toutes les deux à prendre les deux premières places du podium.

Un grand moment du Biathlon français, partagé entre deux amies, qui ont sans doute vécu des hauts et des bas. Dans ces cas là peut-on parler d’une consécration ? Vous en rêviez j’imagine Marie ?

Oui je pense que c’était la quinzaine la plus aboutie de ma carrière, ces mondiaux d’Oslo. C'est vrai que voilà, en plus sur une discipline que je déteste, l’individuelle.

Cela a été une course sympa parce que j’ai suivi la course de « Nanass » du début à la fin, c’est-à-dire qu’on était à deux dossards d’écart, et j’entendais dans les bigots « Anaïs qui est en tête ». C'était assez chouette de vivre cela à deux.

Après bien sûr il faut toujours qu’il y ait un premier et un deuxième, et effectivement j’avais la bonne place, mais c’était un grand souvenir qui nous restera à toutes les deux bien gravé.

 

Marie Dorin Habert, j’aimerais avoir votre pronostic sur le podium féminin du classement général pour cette saison ?

"Roh… Alors là je ne peux pas vous dire, je pense que je me planterais. On va retrouver une Lisa Vitozzi, il y a de beaux espoirs aussi pour la tchèque Davidova qui a montré de très belles choses l’an passé...

Après peut-être une Denise Hermann qui était très en forme et qui a montré qu’elle avait des qualités de tireuses également. Voilà. J’adorerais pouvoir voir une Anaïs Bescond ou une autre française sur les belles places, un podium ou pourquoi pas les places d’honneur. "

 

 Et chez les garçons ?

"Je pense que l’équipe de France esr la meilleure équipe du monde. Ils se battent avec la Norvège pour avoir cet apanage, mais ils ont une équipe qui est clairement très solide. Ils ont pu voir l'an dernier justement qu’en l’absence de Martin, tout le monde tient la route, en tout cas c’était vraiment chouette !

 Après je ne pourrai pas vraiment faire de pronostic... forcément on a envie de mettre un Johannes Boe favori, mais aussi Martin, Quentin et puis plein d’autres qui peuvent prendre la succession."

 

Marie allez-vous vous rendre cette année au Grand-Bornand pour suivre vos camarades et les encourager ?

"Oui, je serai sur la chaine l’Equipe"

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- Pour finir Marie Dorin Habert, parlons à présent de votre livre, sorti aujourd’hui et qui s’intitule : « Tu marches, il marche, vous marchez … moi je cours. » édité chez Salamandre.

Cet ouvrage personnel évoque différents aspects de la nature, que pouvez-vous nous dire sur cette balade littéraire en votre compagnie et donc sur ce nouveau projet ?

"Alors en fait cela a été un projet qui m’a été commandé par l’éditeur Salamandre, pour lequel j’avais déjà écrit une ou deux chronique(s), puis qui en Avril 2018 m’a dit : « on va sortir une série de livres sur "Marche avec", et les retours d’expérience, est-ce que cela t’intéresse d'en écrire un ?

Si oui tu nous fais un premier chapitre et on validera en Septembre 2018. Si c’est plaisant on te fera un contrat d’édition ». Finalement je me suis prêtée au jeu, car je me suis dit qu'en Avril 2018 tout s'arrêtait, enfin tout recommençait plutôt, donc il faut profiter des occasions qui nous sont offertes.

Ecrire c’est un exercice que j’aime beaucoup, alors je me suis dit écrire un livre pourquoi pas. En plus c'était vraiment l'occasion, j’ai accepté, et l’aventure est partie. Sauf qu’en Octobre 2018 on a ouvert « ZeCAMP » et j’ai accepté un job au département de l’Isère... 

Je n'avais plus du tout le temps d’écrire. J’ai alors écrit pendant mon congé maternité en deux semaines jusqu’à minuit la suite du premier chapitre. Ça a été un peu rapide et si c’était à refaire, je ne referais pas la même chose, même si c’était très sympa.

Cela m’a permis aussi de revivre certains moments de ma carrière, de parler aussi d’autres passions, donc oui, c’était intéressant. Un bel exercice."

 

Enfin, je souhaite vous laisser carte blanche, si vous souhaitez évoquer un sujet qui vous tient à cœur ou parler d’une de vos activités ?

"Rires) C’est compliqué. Je pense que je suis quelqu’un de très passionnée. J'ai en effet beaucoup de passions et j’ai du mal à dire non, donc je me lance aisément dans plein de projets. Après j’ai du mal à mener de front toutes mes passions pour faire en sorte de les vivre à fond.
 

Forcément je redécouvre le fait d’être jeune maman avec l’arrivée de ma deuxième fille, et je prends beaucoup plus de temps que je n'avais pris avec la première, puisque j’étais vraiment en pleine carrière.

Avec la deuxième, vraiment, je redécouvre tout, c’est génial ! J’en profite énormément. J’apprends aussi beaucoup dans mon nouveau travail. Je travaille au département de l’Isère sur des thématiques sport et environnement.

J'ai ainsi pas mal de contacts justement avec des associations sur la nature, les acteurs de l’environnement, ce qui me permet d’apprendre énormément et j’adore ! 

Ce qui me manque le plus c’est de faire du sport à ma convenance, car les créneaux dédiés au sport sont réduits. J'ai tout de même renoué avec l’équitation, mais je dois faire l’impasse sur certaines choses.

J'apprends tous les jours, c’est vraiment un changement de vie où tout est une découverte, tout est à reconstruire. C’est très intéressant et très enrichissant.

 

Merci à vous Marie Dorin Habert, bravo pour votre carrière et bon courage pour vos projets futurs.

"Mais c’est moi qui vous remercie ! "

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Le livre de Marie Dorin Habert

Tu marches, il marche, vous marchez… moi, je cours.

Editeur : Salamandre.

Prix : 19€, 167 pages.  

Plus d'infos et extrait ICI

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Photos : Nordic Focus

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