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Une interview réalisée le 16 octobre, juste avant les championnats de France d'Arçon.

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Où êtes-vous en ce moment ? Vous étiez encore dans le Jura (à Septmoncel) il y a peu… Tous les voyants sont-ils au vert après de longs mois de préparation ?

"Actuellement nous sommes à Prémanon au centre national de ski, où nous terminons notre stage.
Tout va pour le mieux, la préparation se passe bien. Je constate une petite progression, et à notre niveau c’est vrai qu’on vient vraiment chercher les détails c’est pourquoi je suis content de ressentir et voir ces progrès. Parfois on n’a pas l’impression de vraiment évoluer mais là je remarque que ça va dans le bon sens.

Il n’y a pas eu de pépin, aucune blessure particulière donc les choses vont plutôt bien. Je suis confiant à l’approche de cet hiver et comme il y a eu de belles courses la saison dernière, j’espère faire aussi bien voire mieux. C’est vrai que je pars aussi avec plus de confiance en sachant que j’ai cassé la barrière de la peur de ne pas réussir. Je sais maintenant que je suis capable d’atteindre un certain niveau, j’essaie donc de travailler pour y être plus régulièrement et devenir encore meilleur."

 

Pour un athlète de haut niveau, la préparation est essentielle mais tellement exigeante qu’il est parfois difficile de rester motivé… Quelle a été votre meilleure journée (meilleur site / paysage), et quelle a été la pire (météo exécrable par exemple…) ?

"Il y a plein de bons moments parce qu’on ne peut pas faire ça sans passion : je me fais énormément plaisir. Après, c’est vrai que certains cadres (paysage, beau temps) font que c’est plus facile d’aller s’entraîner. Je pense à certaines sorties de course à pied qui sortent un peu de l’ordinaire, comme celles dans les sommets des dolomites au moment du stage à Anterselva ou de belles sorties même à Prémanon en ski-roue avec les couleurs d’automne.

Je n’en ai pas une en particulier qui m’a vraiment marqué mais c’est un ensemble qui fait qu’on apprécie : on se retrouve dans de beaux paysages avec de bonnes sensations et une bonne équipe, donc les meilleures conditions d’entraînement."
(Suite sous la photo)

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"Evidemment je prends toujours plaisir à l’entraînement en ski-roue sur une piste de biathlon, mais c’est légèrement différent dans le sens où on tourne un peu en rond et que c’est peut-être plus monotone que de découvrir de nouveaux sentiers.

Pour les moins bons moments, c’est plutôt les sorties avec un temps compliqué, même si la pluie ne veut pas dire que la sortie est mauvaise : ça peut même changer de l’ordinaire si on n’attrape pas froid ! (rires) … Globalement c’est plus difficile lorsque je suis fatigué, que je n’ai pas très envie et qu’il faut quand même aller jusqu’au bout des 2-3h d’entraînement qu’on peut faire à certains moments.

Je n’ai pas spécialement de lieu en tête mais effectivement il y a quelques jours nous étions sous la pluie et ça avait été compliqué. Quand nous arrivons en fin de stage, nous sommes un peu émoussés, et si en plus les conditions sont médiocres, nous sommes un peu plus réticents.

Nous savons aussi que c’est dans ces moments-là que nous devons forger notre caractère pour être capables de nous battre, car pendant l’hiver et ses 4 mois de compétition, nous n’avons quasiment jamais les conditions et la motivation idéales ! Nous savons qu’il va falloir batailler et si nous l’avons fait à l’entraînement nous serons plus facilement capables de le reproduire en compétition."

 

L’an passé, la condition physique de (presque) toute l’équipe était excellente. Je crois que vous êtes restés grosso modo sur les mêmes bases de préparation non ? Quelles ont été les petites retouches apportées par Vincent Vittoz et son staff ?

"Il n’y a pas eu de changements significatifs ou marquants. On est resté sur les mêmes bases, en poussant un peu plus loin dans la démarche : un socle de 3 stages typés « altitude » en vue des championnats du monde qui sont à 1800m ; et pour le reste on est sur des détails un peu compliqués à expliquer au grand public.

Visuellement l’entraînement sera le même mais on va chercher des objectifs différents : la technique (comme pousser toujours plus loin), la nutrition, et le sommeil. Chaque année, avec ou sans coach, j’essaye de pousser le perfectionnement encore plus loin. Je cherche les détails qui me permettront d’être encore plus performant que l’année précédente.

On ne peut pas toujours quantifier l’apport de certaines choses : étirements, kinésithérapie, altitude. Il est très difficile de dire à la fin de la saison : « ah voilà c’est exactement ce qui m’a fait du bien », mais c’est un ensemble de choses qui fait qu’on arrive à performer… ou pas d’ailleurs ! (rires)"

 

Ce week-end, ce sont les championnats de France à Arçon. Est-ce une étape importante pour vous ? Vos premiers résultats lors des courses de « pré-saison » sont très bons, notamment en temps de ski ! Comptez-vous prendre plus de risques à Arçon ? Ou tester quelque chose de précis à un peu plus d’un mois de la première étape à Östersund ?

"On va essayer de valider tout ce qu’on a fait de bien sur la préparation, sur cette étape là comme sur Prémanon d’ailleurs. On ne peut pas dire qu’on prépare spécialement l’évènement puisque toute l’équipe s’entraîne beaucoup, que l’on accumule une certaine fatigue car on arrive en fin de stage, en fin de période.

En revanche, on a toujours tous envie de bien faire, forcément. Mes objectifs concernent surtout le tir dans le sens où on peut toujours arriver à faire des choses bien : il y a des points techniques qu’on va essayer de mettre en place, et faire le travail proprement. Sur les skis par contre, je composerai avec la forme du moment..."

(NDLR : Quentin a fini 2ème d'un sprint âprement disputé avec Simon, et 4ème de la poursuite après un 14/20 derrière la carabine) (suite sous la photo)

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L'impatience doit grandir à quelques semaines des premières courses sur neige. Il me semble que vous serez en novembre à Sjusjøen, sur les sélections Norvégiennes…Ensuite ce sera la coupe du monde que vous abordez avec quelles ambitions ? En effet, étant désormais 3ème mondial, vous visez peut-être le gros globe, malgré la concurrence des deux « monstres » de la discipline ? L’année dernière il ne vous a manqué que la régularité pour batailler avec J.Bøe et A.Loginov, d’autant que sur les skis, vous rivalisez maintenant avec les plus grands !

"Oui c’est vrai que j’ai l’ambition d’aller chercher le gros globe de cristal mais ça reste un objectif un peu lointain dans le sens où je ne me mets pas un ultimatum. L’année dernière je n’en étais pas si loin...
Maintenant on part sur une nouvelle saison, avec 0 point chacun, donc oui je me dis que j’ai ma chance de pouvoir batailler dès le début de la saison ! Je vais davantage voir en fonction de l’évolution des résultats si je suis en mesure d’aller le chercher ou non.

Sur les championnats du monde, l’objectif principal sera d’aller chercher une médaille d’or en individuel. Dans les relais aussi, bien sûr, mais ça c’est comme chaque année vu la force de notre équipe !
Je vise également les petits globes de cristal, car je ne suis jamais très loin (NDLR : plusieurs top3 les années précédentes en poursuite et mass start). Je ne me fixe pas de discipline en particulier mais c’est surtout qu’il faudra être régulier, sans être blessé, ni malade… et ça on ne peut pas l’anticiper. On verra bien au fil de la saison suivant l’évolution de mes résultats."

 

Vous étiez à Antholz (Anterselva) fin septembre, sur le site des championnats du monde 2020…C’est un lieu qui vous plaît beaucoup… vos objectifs seront j’imagine élevés et vous aurez à cœur de faire mieux que l’an passé, avec l'envie de remporter une première médaille d’or en individuel ?

"C’est vrai que c’est une étape que j’aime bien ! Le site est chouette, avec une super atmosphère, un beau paysage et très souvent de bonnes conditions donc j’apprécie particulièrement. Aussi j’ai de bons résultats là-bas (NDLR : une de ses deux seules victoires en coupe du monde l’an dernier, lors du Mass-Start), ce sont des choses qui peuvent rassurer, donc j’ai envie de bien faire sur ce site d’autant plus qu’il s’agira cette fois-ci des mondiaux.

Je pars déjà avec une envie très forte de bien figurer. Après, ces bons résultats peuvent aussi mettre la pression, on m’en parle assez souvent… Je vais essayer d’aborder les choses de la bonne façon ! Aller chercher une victoire en individuel aux championnats du monde, ça serait quelque chose de vraiment beau ; l’année dernière j’ai eu 2 médailles de bronze (Sprint et Poursuite) aux championnats alors j’espère que ça se passera encore mieux.

Je m’étais fixé le podium comme objectif mais aujourd’hui le titre mondial est une ligne qui manque à mon palmarès…

La démarche du sport c’est ça : je ne vais pas maintenant me contenter d’une 20ème place en coupe du monde. J’attends beaucoup mieux, mes exigences et mes envies sont bien au-delà donc chaque année j’essaye de remonter un cran sur mes objectifs.

Je n’ai pas réussi toutes les saisons, notamment l’année des jeux qui avait été assez compliquée à gérer car il y avait aussi d’autres facteurs qui sont rentrés en compte qui n’ont pas été forcément évidents. J’essaye de tout mettre en place mais je ne me mets pas d’ultimatum. Je suis avant tout au biathlon pour me faire plaisir et non pas pour me créer une contrainte de résultat ; la vie ne s’arrêtera pas même après une mauvaise saison.

J’ai la chance d’avoir une vie d’athlète où je suis applaudi à chacune de mes courses, ce n’est pas le cas de tous les métiers : la personne qui travaille à l’usine, elle n’a pas 20000 personnes qui l’applaudissent à la fin de la journée car elle a bien travaillé. Là-dessus je prends conscience que j’ai beaucoup de chance !"

 

Pensez-vous avoir amélioré votre vitesse de préparation au tir couché ? Votre précision ? Qu’a pu apporter Patrick Favre en maintenant 2 préparations de saison ?

"L’année dernière j’avais déjà eu à corriger mon tir couché qui m’avait posé problème pendant plus d’un an et demi où je modifiais mon réglage pendant l’installation (le viseur, on va dire). J’ai découvert ça qu’à l’automne l’an dernier. Donc pendant le printemps et l’été, c’est toute une période où j’étais à la recherche du problème, mais sans faire évoluer forcément mon tir dans le bon sens.

Maintenant que le problème est bien résolu, je suis davantage à la recherche du tir précis et rapide. Pour le moment ça marche plutôt bien, je me sens plus à l’aise, j’ai moins d’appréhension, moins de peur sur mon tir. Je pense que ce sera une grande aide au niveau de la compétition cet hiver."

(suite sous la photo)

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Au sein de l'équipe de France, où l'abondance de talents est incroyable, l'ambiance est-elle bonne ? On vous voit souvent avec Fabien Claude, c’est celui avec lequel vous avez le plus d’affinités ? Le fait d'avoir tous plus ou moins les mêmes objectifs, n’est-ce pas gênant ? Ou au contraire ?

"Fabien est Vosgien, mais est très souvent dans le Jura pour s’entraîner. On vient souvent à s’entraîner ensemble, de la même façon qu’avec Simon Desthieux qui est plus proche géographiquement.

Nous sommes tous sur le même site d’entraînement donc nous nous voyons régulièrement même en dehors des stages. Ce sont mes partenaires d’entraînement les plus réguliers.
Concernant l’ambiance au niveau de l’équipe, ça va super bien, on passe énormément de temps ensemble, plus qu’avec ma copine (rires), donc c’est important qu’il y ait un bon climat.

Une amitié se crée petit à petit et ça me fait super plaisir de partir en stage et en compétition avec une équipe avec laquelle je m’entends super bien. On est une bande de copains maintenant, qui part en voyage avec certes certains enjeux mais ça reste très « décontract »."

 

Comment vivez-vous votre nouveau statut de n°3 mondial ? Ressentez-vous de la fierté ? Peut-être aussi plus d’attente (pression) du public ? D’autant plus que vous retournez au Grand Bornand cette année… Comment voyez-vous cette épreuve qui aura de nouveau lieu en décembre ?

"Le fait d’être 3e mondial c’est déjà une grande fierté parce que quand je me suis vraiment lancé dans le biathlon à l’âge de 14 ans, mes ambitions étaient bien entendu de briller au sommet du biathlon mondial mais ça restait un fantasme presque fou, impossible.

Je me suis donné la chance mais c’était un rêve très lointain. De fil en aiguille je m’en approche, avec les premiers podiums sur les circuits internationaux juniors, ensuite les sélections en EdF A, la première coupe du monde, le premier podium, et la première victoire. La progression a été plutôt « normale », je me suis donné vraiment à 100% mais certains s’entraînent autant que moi et n’y arrivent pas…

Quel est le facteur qui fait vraiment la différence par rapport aux autres ? Je ne sais pas vraiment : la motivation, la hargne sur les skis. Il y a une partie génétique pour laquelle je peux remercier mes parents, car certaines aptitudes physiques m’aident beaucoup sur la piste. Le fait d’habiter dans une région « extérieure », d’avoir des parents sportifs… Si on connaissait les facteurs exacts pour faire des champions on aurait de vraies usines, et ce ne serait plus du sport passion !

Il n’y a aucune frustration sur ma 3e place mondiale, au contraire. Quoi qu’il se passe par la suite je resterai très fier de ce que j’ai fait : j’aurai eu une carrière remplie !

Mais voilà, je reste avec des ambitions plus hautes que ce que j’ai fait car si j’ai été capable de faire troisième alors maintenant, en ayant passé un bon été, j’ai la possibilité d’aller encore plus loin ! Je veux me donner la chance pendant que ça marche très bien, pendant que je me fais plaisir, pendant qu’il y a tout cet engouement…"

 

Si vous aviez un vœu, un seul, pour cet hiver, ce serait lequel ? Vous entraînant souvent au stade des Tuffes de par sa proximité, pensez-vous qu’un jour il sera possible d’y organiser un peu plus que des championnats de France ? Est-ce un souhait ?

"On parlait de la coupe du monde au Grand Bornand, on sait qu’il y aura une super atmosphère et ça fait vraiment plaisir. La recherche de notoriété et de soutien, d’encouragements, c’est secondaire pour moi car je suis davantage dans la recherche de performance.

Mais vraiment, c’est très réjouissant de voir tout ce que je peux partager. Je le fais pour mon propre plaisir mais quand je vois indirectement toutes les émotions que ça peut procurer au public (je croise souvent des personnes qui me parlent de tout ça) ça me fait chaud au cœur !

Je suis presque pris entre deux feux car sportivement le classement général c’est le plus dur que l’on puisse aller chercher, c’est le plus dur à graver sur une plaquette. C’est sur 4 mois, sur une saison avec un podium à chaque course donc c’est vraiment très difficile !

C’est pourquoi sportivement je dirais le classement général. Par contre sur la course d’un jour je préfèrerais aller chercher une médaille d’or aux mondiaux, ou sur les jeux olympiques, encore mieux bien sûr ! Honnêtement si cette année il n’y avait qu’un des deux à choisir c’est le gros globe de cristal car plus glorieux : être le meilleur de sa discipline sur une saison c’est quand même impressionnant !

La médaille d’or elle peut encore aller se chercher sur d’autres années… C’est difficile de dire ce que l’on préfère !

Le site de Prémanon a énormément évolué ces dernières années, déjà pour l’entraînement mais aussi la compétition. Ça me plairait beaucoup d’avoir une épreuve à la maison mais je ne suis pas pour dire « il faut absolument une coupe du monde dans le Jura ».

Moi, ça me ferait énormément plaisir car je pourrais rencontrer plein de monde que je connais mais ce n’est pas un but en soi. Si un jour les infrastructures venaient à évoluer pour en faire une, j’en serais le premier ravi, mais ce n’est pas le cas et actuellement, le Grand Bornand nous accueille déjà et c’est vraiment super !

Peut-être que lorsque j’arrêterai ma carrière et si je poursuis dans la politique, alors il est possible que je pousse pour qu’il y en ait une dans le Jura. D’autant qu’il va y avoir normalement une coupe du monde de ski de fond, on verra ce que ça donne et pourquoi pas un jour le biathlon en effet…"

 

Merci beaucoup Quentin ! Nous suivrons de très près tes performances cette saison qui seront, nous l’espérons, de très haut niveau !

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Photos : Nordic Focus

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