Québec, été 2010. Une fillette de huit ans, cheveux au vent, pédale maladroitement sur un sentier poussiéreux. Magdeleine Vallières vient d'abandonner les petites roues et de recevoir, pour Noël, son premier vrai vélo.
Ce qui suit n'est pas une simple balade familiale : son père l'embarque pour un périple bikepacking de neuf jours et 1 000 kilomètres à travers les paysages vallonnés du Québec.
"C'est ce voyage qui a allumé la flamme", confie-t-elle aujourd'hui, les yeux pétillants.
Dans cette petite ville frontalière, où le cyclisme est une religion locale, boosté par une fédération dynamique et de nombreux clubs, Magdeleine grandit entourée de vélos.
Montagne, cyclo-cross, route : elle touche à tout, dévore les parcours en VTT avec une énergie contagieuse, et apprend même le "track stand", cet art de l'équilibre immobile qui la fait encore sourire aux feux rouges.

Adolescente, Magdeleine Vallieres se forge un palmarès junior impressionnant.
En 2019, à 18 ans, elle domine les championnats canadiens : or en course en ligne et contre-la-montre chez les juniors. Sélectionnée pour les Mondiaux UCI à Yorkshire, elle y représente le Canada avec une audace qui surprend déjà.
Un an plus tard, elle traverse l'Atlantique pour rejoindre le World Cycling Centre en Suisse, un tremplin pour les talents émergents. "Sherbrooke, c'était génial, mais pour progresser, il fallait les routes européennes", explique-t-elle.
Là-bas, l'hiver rigoureux, "plus doux qu'au Québec, quand même !", ne l'effraie pas. Elle enchaîne les stages, affûte son explosivité en côte et sa résistance sur les pavés.
Professionnelle depuis 2021 avec l'équipe WCC, Magdeleine Vallières passe chez EF Education-Oatly en 2023, une structure américaine qui lui ouvre les grandes portes.
À 22 ans, elle dispute le Tour de France Femmes, le Giro d'Italia Women, la Vuelta a España Femenina, et brille sur les classiques comme Strade Bianche ou Amstel Gold Race. Pourtant, les victoires tardent.
Deuxième des nationaux canadiens en 2024, elle décroche enfin son premier triomphe pro au Trofeo Palma Femina. "C'était modeste, mais ça m'a libérée", dit-elle.
Grimpeuse instinctive, endurante comme peu, elle excelle dans les terrains accidentés, mais le peloton mondial, impitoyable, ne lui offre pas beaucoup d'opportunités pour se mettre en évidence.

Et puis arrive Kigali
Les Championnats du monde UCI, pour la première fois en Afrique, sur un circuit infernal de 164,6 km : 11 boucles avec la Côte de Kigali Golf et la pavée Kimihurura avec ses rampes à 15 %.
La course explose tôt : une échappée à 50 km de l'arrivée, un groupe de dix où la Québécoise se glisse, discrète mais vigilante. Les favorites se neutralisent derrière, Ferrand-Prévôt attaque en vain, le peloton craque.
À 2,3 km de l'arrivée, au pied de la dernière côte, Magdeleine porte l'estocade.
"J'ai vu Niamh [Fisher-Black] faiblir, j'ai foncé", racontera-t-elle, et plus personne ne la reverra jusqu'à la ligne d'arrivée qu'elle franchit aux bord des larmes.
La surprise est générale : c'est la première non-Européenne championne depuis 1980, et la première Canadienne tout court. "Je n'arrive pas à y croire", balbutie-t-elle, en larmes, sous les vivats de ses coéquipières.
Cette fois la gamine de Sherbrooke s'est fait une place au soleil, le maillot arc-en-ciel sur les épaules.
« Les filles ont cru en moi donc j'ai cru en moi. Je m'étais bien préparée et je savais que j'étais en bonne forme. Donc j'ai essayé. Je ne voulais pas avoir de regrets. Je n'en ai pas finalement (rires).
Je ne peux pas y croire. Avec les Mondiaux l'année prochaine à Montréal... c'est parfait. J'en rêvais depuis longtemps.
C'était un gros objectif pour moi cette année. Je me suis bien préparée en altitude avec l'équipe et les coachs. C'était mon rêve de gagner. Et ça s'est produit. C'est fou. La chance et les jambes étaient avec moi. »