Et c'est Benoit qui nous raconte, à sa manière, leur quotidien :
-Bonjour, je m'appelle Clara, et nous recherchons un abri pour la nuit, a fait ma soeur.
-Ben ouais! a répondu l'autre.
-Mais, euh...
-Ben ouais! Ben ouais...
Il disait "ben ouais" à tout.
-Et vous c'est comment?
-Jésus, a rigolé le gars.
Alors on l'a appelé Jésus, pour son plus grand bonheur.
Le Jésus en question, c'est un marginal. Un ferrailleur d'art en semi retraite avec sa dégaine de cow-boy, qui bosse encore par-ci par-là en attendant de toucher ses premiers sous de pension. Il a retapé sa maison en sept mois tout en bossant à côté, dormant à peine une heure par nuit. Il mène une vie de bohême, une vie d'artiste. Il adopte des pies, des fouines et parle à ses poissons rouges. On n'ose pas lui dire que les poissons, pas sûr qu'ils comprennent tout. Il a une chouette, Joséphine, qui grandit dans un panier à chaussures, un âne qu'il a appelé "comme toi", une rambarde d'escalier forgée où sont représentés les nus de toutes ses conquêtes féminines...

On est tous autour de la table ronde, un feu trônant au milieu d'une création à lui : la table barbecue. Le gars dit deux ou trois gros mots, et repart dans son discours sur la politique, sur la société, sur la vie.
Si on est chez ce gars c'est parce qu'on était encore à la recherche d'un toit, parce que depuis trois jours, on ne cesse de nous dire qu'il ne va pas tarder à pleuvoir.
La pluie, elle ne nous enchante pas. Alors depuis Belfort et l'accueil extra de Ludo et Sylvie, on guette le ciel. Ludo nous a accompagnés sur la deuxième partie de la journée du vendredi. Entre temps, on s'est quand même paumé plusieurs fois, histoire de dire. Raccourcis à rallonge pour terminer l'étape à Vesoul, V'soul comme le disent les locaux. Klahf, débordant de gentillesse, nous a contactés pour nous héberger et Isa, venue directement de la Haute, nous a rejoints sur place avec le ravitaillement.
Le lendemain, on apercevait la Tour Eiffel.
-Déjà Paris ? je demande à ma soeur.
Dans mes rêves, Paris. Il nous restait encore plus de quatre cents bornes avant la capitale. Là, on n'avait droit qu'à une copie modèle réduit de la tour, dans le village de Soing.
Le lendemain devait être le premier gros jour de pluie.
-Des trombes d'eau! nous répétaient inlassablement les habitants.
-Et vous auriez un toit de grange ou même un garage pour qu'on puisse s'abriter?
Silence.
A défaut de trouver un abri, la famille Terrier nous aura offert la chaleur de ses murs et de la douche pour se rincer et manger au chaud. Une famille très simple au coeur grand comme ça, nous redonnant un peu de baume au coeur après les nombreux refus essuyés dans notre tentative de trouver le gîte. Pour la nuit, toujours par peur de la pluie, il faudra nous contenter du préau de l'école. Ce qu'on ne savait pas, à ce moment de l'histoire, c'est que le bâtiment contigu accueillait des mariés du coin. À quatre heures du matin, après cinq minutes de silence, on a bien cru qu'on allait enfin pouvoir dormir, mais c'était le calme avant la tempête. Les deux heures suivantes furent un calvaire : musique techno-électro en non stop jusqu'au lever.
Ce soir, on est le 12 juin. De Belfort, on a longé le canal Champagne-Bourgogne jusqu'à Gray avant de remonter jusqu'au Lac du Der. Et quel bonheur d'arriver à Saint-Rémy et de trouver un studio mis à disposition pour les voyageurs pèlerins qui font Compostelle. Les rencontres sont parfois laborieuses, les portes ne s'ouvrent pas toujours spontanément, même pour un auvent, pour se protéger de la pluie. Oui, comme le dirait Diderot, il y a la philosophie de l'accueil et sa réalité...
Serait-ce aussi par peur de nous perdre une nouvelle fois ? Comme le petit Poucet, nous avons semé quelques objets derrière nous… Tatanes, popote et autres petites choses utiles… Un moyen comme un autre de laisser quelques traces de notre passage… Heureusement pour nous, l’ogre n’était pas au rendez-vous. Mais si ce soir, sa femme est prête à nous accueillir avec une bonne soupe et des lits douillets, on prend !"
A suivre...