Après cette nouvelle semaine sur les ski-roues, nous lisons avec plaisir le récit hebdomadaire écrit par Benoit Chauvet. 
 
"Clara fait deux poussées de bâtons et se met en position aérodynamique : genoux pliés, coudes sur les cuisses, skis parallèles. En schuss, quoi ! Elle perd rapidement de la vitesse puis s’arrête.

Trois mètres plus loin, elle fait une nouvelle tentative pour un résultat quasi identique. J’essaie à mon tour, mais l’essai n’est guère plus convaincant. Pourtant, depuis plusieurs centaines de kilomètres, les gens nous disent qu’on descend.

-Paris ? Oh, vous descendez le long de la Seine. Nantes ? Faut prendre à l’Ouest et descendre la Loire. Arcachon ? Mais vous n’y êtes pas du tout. Prenez plutôt à droite et ensuite à gauche. De toute façon, vous ne pouvez pas vous planter, faut descendre toujours au Sud. 

En gros, à les entendre, depuis qu’on est partis, on est sensé avoir que de la descente. Pourtant, on pousse, on pousse. Qu’est-ce que ce sera quand il faudra attaquer la remontée ?...

Alors on évite d’y penser et on accomplit nos kilomètres de labeur. A Saint-Brévin-les-Pins, juste à côté de Saint-Nazaire, la foule n’est pas grande pour nous accueillir. Mais il y a le plus beau : le sable, le soleil, l’Océan à perte de vue, et même si nous avons déjà accompli la bagatelle de 1800km, on se sent tout petit. Peu avant, nous venons d’abandonner nos compagnons d’échappée, et pour la première fois depuis le début de notre expédition, nous nous retrouvons à deux sur le parcours.
 
 
La frangine et moi, en tête à tête. Deux jours en semi-repos sans soutien logistique, durant lesquels il nous faudra monter sur les vélos pour accomplir les kilomètres quotidiens. L’hébergement de Saint-Brévin nous laisse sans voix tant il est spontané.

Au cours d’une discussion banale avec un couple, alors que Clara se renseigne en Mairie pour un hébergement, le mari me demande :
-Et ce soir, vous dormez où ?
J’hausse les épaules. Une heure plus tard, on est attablés chez eux.
Voilà, notre tour, c’était un peu ça. Il y avait ce qui avait été planifié, et pour le reste, « qui vivra verra ».

Quelques jours plus tard, en franchissant le panneau de Beauvoir sur Mer, on eut le doit à un accueil digne du Tour cycliste. Même si j’avais gagné l’étape du jour, Clara gardait le maillot jaune. Jaune de quoi ? Ben, jaune tout court. Moi, dans mes bagages, je n’avais que des maillots bleus.

On a englouti la côte Atlantique comme une glace au chocolat, avalant les kilomètres à grands coups de bâtons. Entre temps, on avait récupéré François et Jean Paul, deux compagnons de galère, à Rochefort. La veille, il nous était arrivé un truc improbable : lors d’une pause midi, une famille vint s’intéresser à notre chargement, à notre histoire.

Cinq minutes plus tard, les deux femmes nous accompagnaient sur l’étape de l’après-midi, entre Bauvoir et les Sables d’Olonne, pendant que les hommes nous escortaient en voiture.

Après une étape de repos chez l’oncle à quelques encablures de la Dune du Pyla, on a filé à l’Est. 
L’Est, c’était synonyme de retour au bercail, et, ma foi, après avoir bouclé notre cinquième semaine, nous n’étions pas mécontents de voir se rapprocher nos bonnes vieilles montagnes.

 Alors que nous faisions une halte dans un village, un gars s’est approché de moi et m’a demandé :
-Mais vous faites ça dans un but lucratif ? Ça vous rapporte de l’argent ?
Si seulement. L’argent, c’est plutôt nous qui le dépensions pour accomplir notre Tour. Et pourtant, lors de notre arrivée sur la côte Atlantique, nous étions plus entreprenants. On s’arrêtait dans les boutiques, on présentait notre projet, et généralement, les commerçants nous recevaient avec sourire et générosité.
 

A Marennes d’Oléron, il y eut la boucherie, la boulangerie, nos besaces se remplirent de mets divers et variés, et s’il y avait une certitude, c’est qu’on n’allait pas mourir de faim. On eut même droit à un verre de rosé, à jeun, offert par une le gérant d’une cave à vin. La demi-heure qui a suivi, on a tous trouvé que la route avait bien des virages… 

Finalement, même si nous n’avions pas trouvé suffisamment de sponsors financiers pour boucler notre projet, nous trouvions des sponsorings spontanés sur notre passage, et non les moindres : l’hébergement chez l’habitant et la nourriture chez les commerçants artisans. Entre les oublis dans les étapes, les casses, tout le monde y mettait du sien, et ce monde tombait toujours à point nommé.

Si nous perdions une goupille de carriole, nous avions la chance d’être hébergés par un bricoleur qui nous la remplaçait. Lorsque nous cassions l’axe de l’autre carriole, alors que nous étions perdus au milieu de nulle part, il fallait que ce soit à côté de la seule maison à des kilomètres à la ronde dont l’hôte était un ancien garagiste et avait tout le matériel nécessaire pour réparer.

A un moment, on a quand même levé la tête pour voir cette bonne étoile qui semblait nous suivre depuis le départ. Et même quand Clara, un peu à l’Ouest, s’est étalée de tout son poids sur la piste cyclable, à la première maison, on tombait sur le seul sapeur-pompier à la retraite du coin, qui nettoya la plaie comme il se doit. Malgré tout, la sœurette ne passa pas à côté d’un passage chez le médecin et des deux points de suture qui allaient avec.

Mais qu’importent les galères, nous avançons toujours bon train. Aujourd’hui, pause à Brens, près de Gaillac chez des amis d’amis, agriculteurs, qui nous ont ouvert grand leur porte. Et demain, on attaque les gorges du Tarn pour notre avant-dernière semaine d’effort…"