On retrouve évidemment le papier hebdomadaire de Benoit Chauvet pour notre plus grand plaisir :

"Je m'arrête pour laisser la place à Clara.

-Vas-y je t'en prie.

-Bah non, t'as qu'à y aller.

J'ai toujours eu l'âme d'un gentleman, alors je me tourne vers elle à nouveau:

-Les femmes d'abord, je lui fais.

-Je n'en ferai rien, me répond-elle. Et puis, tu sais, droit d'aînesse...

Je la regarde en pestant. Elle ira loin, la petite soeur, elle ira loin. 

En fait, ce qu'il se passe, c'est qu'il y a toujours ce foutu vent qui n'en finit pas. Et dire qu'on croyait s'être endurcis... Alors on se bat pour être derrière, histoire de profiter de l'aspiration. Mais à quatre à l'heure sur le plat, je ne suis hélas pas sûr que l'aspiration soit encore d'actualité.

Le vent incessant, ce devait être l'air marin, car oui, il fallait l'avouer, on se rapprochait lentement de l'océan. Paris étant approximativement la ligne médiane de la France, l'Ouest avait un goût particulier. Un changement s'opérait. On ne savait pas trop si c'était dû à la chance ou alors simplement un état d'esprit, mais à l'approche de la Sarthe, l'accueil paraissait plus simple, plus spontané. 

Un gîte, "l'Atelier des Fontaines" nous prêtait sa salle de réception pour passer une nuit dans le village de Fontenay sur Eure. L'étape suivante, on était les pieds sous la table à Nogent le Retrou. Un accueil qui alla crescendo jusqu'à cette fameuse Sarthe, département qui méritait une palme d'or. 

A Saint-Mars de Loquenay, Clara toquait à la fenêtre d'une maison pour ce renseignement quotidien qui sonnait à nos oreilles comme une rengaine: où allait-on passer la nuit? Question qui avait toute son importance, vu que les tentes étaient restées sur Paris. Oubli cette fois-ci volontaire ne notre part, nous obligeant à créer le contact avec "l'autochtone", comme on pourrait dire.

A Saint-Mars, tout le village s'investit dans notre quête d'hébergement. "Ne vous inquiétez pas, vous ne dormirez pas dehors", nous clamait-on. Une conseiller municipal multi casquettes, artiste, écrivain, bricoleur, et sa femme virent débarquer trois vagabonds transpirants et n'hésitèrent pas à leur proposer le gite et le couvert, et même le blanchiment du linge. Le lendemain, une dame au nom proche du nôtre nous hélait dans la rue et nous offrait un paquet de gâteaux. 

Plus loin, le correspondant d'un journal local faisait une interview improvisée, alors que la crêperie du coin nous offrait une collation. Notre tour  en ski roue prenait alors une autre dimension, il fallait le voir pour le croire. L'aventure n'était plus seulement sportive mais aussi humaine, pour notre plus grand bonheur.

Pour le soir, notre arrivée improvisée à Mansigné avait été relayée par notre ami de la Yaute, Michel, qui jouait les entremetteurs. Toute sa famille de Sarthe s'était démenée pour une rencontre imprévue, ils avaient sorti les rillettes du pays et avaient mis les grillades à dorer, le tout accompagné d'une bonne bouteille. Les voisins étaient eux aussi de la partie pour profiter du moment. Bien sûr, pour les remercier, Clara ne trouva pas mieux que de casser la douche.

Chaque jour offrait son lot de rencontres imprévues, il y eut un couple de retraités en train de repeindre leur portail, aux portes d'Angers, qui nous offrirent gîte et couvert, en voyant nos mines fatiguées et dépitées par les refus essuyés auparavant. Le lendemain, c était toute la boulangerie d'Eventard qui nous aidait. Par la suite, après une étape de près de 100km à galérer sur les pistes cyclables du bord de Loire, accompagnés de deux nouveaux venus, Jean Marc et Serge, c'était au tour de la famille Vigneron d'avoir pitié de nous.

Les noms se succèdent, et nous savons qu'il y en aura encore bien d'autres. Parce que cette aventure s'étend lentement et trouve ce que nous attendions d'elle, l'échange, le partage et la découverte, la générosité et sa simplicité. 

Apres quatre semaines d'effort, nous sommes à mi-parcours et poursuivons notre but. Et même si les Alpes nous paraissent pour l'instant à des kilomètres d'effort, rien n'a plus de valeur que l'instant présent, toutes ces amitiés que nous vivons au jour le jour sans nous soucier de ce que demain va nous offrir."